Pourquoi autant d’indignation de la part du milieu communautaire à la suite du budget provincial déposé la semaine dernière ? Simplement parce qu’il refuse de laisser tomber des personnes comme Stéphane (et par le fait même, des milliers d’autres Québécois et Québécoises).
Stéphane a passé deux années dans la rue. Son histoire peut sembler assez classique, une série de malchances qui s’enchaînent alors qu’il entame tout juste sa quarantaine et qu’il se trouve déjà dans une situation fragile : maux chroniques, dépression, séparation, isolement. Pendant les premiers mois, il dort dans sa voiture, parfois chez des amis, mais lorsque l’hiver arrive, il se résigne et commence à fréquenter le service d’hébergement de la Mission Old Brewery.
Après quelques semaines, avec un accompagnement psychosocial soutenu, il se reprend en main et retrouve espoir. Son état de santé mentale s’est stabilisé, il se sent suffisamment autonome et veut reprendre le contrôle de sa vie. Il vit dans un dortoir sans beaucoup d’intimité depuis trop longtemps déjà. Il ne souhaite qu’une chose : retrouver un chez-soi.
Prestataire d’aide sociale sans contrainte temporaire à l’emploi, Stéphane a un revenu mensuel de 770 $ pour s’alimenter et se loger, alors que le prix d’un studio à Montréal tourne autour de 900 $ par mois. Sa seule option est de se tourner vers le logement social subventionné, qui lui permettrait de payer un loyer équivalent à 25 % de ses revenus, soit 175 $.
Stéphane réside à la Mission Old Brewery depuis près d’un an, il a rempli son dossier administratif et pourrait donc accéder à un logement, mais rien n’est moins sûr. La demande en logements sociaux est de plus en plus grande et la création de logements de ce type ne suit pas la cadence.
Malgré la lueur d’espoir générée par 2000 nouveaux logements des programmes PSL (Programme supplément au loyer), le gouvernement provincial ne prévoit en effet aucune création de nouvelles unités de logement social subventionné dans son budget. Il comble à peine le manque de financement des unités déjà engagées dans AccèsLogis et mise désormais tout sur le développement du logement abordable.
La nuance entre logement abordable et social peut sembler mineure, mais il n’en est rien. Les loyers des logements abordables sont évalués par rapport aux réalités du marché privé (par exemple, 768 $ pour un studio est considéré comme abordable par le programme). Le logement social, lui, fixe le montant de loyer selon les revenus des personnes (soit 175 $ pour Stéphane).
En n’imposant aux porteurs de projets aucune unité de logements sociaux, le gouvernement ne fait qu’aggraver la situation déjà plus que critique pour les personnes vulnérables.
De plus, en accordant le tiers des nouvelles unités de logements abordables aux promoteurs privés plutôt qu’aux organismes à but non lucratif, il met à risque la création de nouveaux projets de logements adaptés et offrant un soutien communautaire aux personnes vulnérables. En effet, seuls les organismes communautaires ont l’expertise et la mission d’accompagner ces personnes dans leur parcours vers la stabilité résidentielle, au-delà de leur fournir un toit.
Le gouvernement risque de tourner le dos non seulement à la crise du logement, mais aussi au nombre croissant de personnes en situation d’itinérance s’il n’agit pas autrement. Alors que nous espérions tous voir un peu de lumière au bout du tunnel, c’est plutôt un avenir sombre qui se dessine pour le logement social. Mais il n’est jamais trop tard pour faire mieux.