Prévenir l’itinérance chez les aînés : agir plus tôt pour éviter le naufrage

01 octobre 2024
Georges Ohana
Un groupe de personnes rassemblées devant la Mission Old Brewery en 2019.
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Photo par Pierre Obendrauf / Montreal Gazette

Les inégalités économiques de notre société se manifestent de manière flagrante dans les conditions de vie de nos aînés. Selon leur classe sociale, certains jouissent d’une retraite active et confortable, tandis que d’autres, plus vulnérables, vivent de l’insécurité financière et ont un accès limité aux services essentiels. En ce 1ᵉʳ octobre, Journée internationale des aînés, ces écarts soulèvent des questions fondamentales sur l’équité et la dignité que nous leur offrons comme société québécoise.

Plus précisément, nous nous inquiétons de voir un nombre grandissant de personnes expérimenter un premier épisode d’itinérance plus tard dans leur vie, alors que la vieillesse se pointe le bout du nez.

Il suffit qu'une personne de plus de 50 ans souffre d'isolement et de précarité financière pour risquer de tomber dans les mailles du filet social. En effet, cette population, déjà fragilisée par le passage du temps, ne peut commencer à bénéficier de programmes et de services gouvernementaux qu’à l’âge de 65 ans, autant au niveau de la santé et des services sociaux, que de l’aide à domicile, de l’habitation, du transport, de la justice, de l’emploi, et bien d’autres.

Donc qu’en est-il des quinze années critiques, avant l’âge de 65 ans? C'est à ce moment qu’une personne vulnérable se retrouve dans le Triangle des Bermudes de nos politiques sociales, tributaire d’une série d’échecs systémiques qui faillit à cette population laissée pour compte.

Ces quinze années critiques, si vécues dans la rue, ont des répercussions profondes sur la santé des personnes aînées. En effet, les conséquences de la rue sur leur bien-être physique et cognitif sont si éprouvantes que les personnes en situation d’itinérance subissent un vieillissement précoce, et sont considérées comme aînées dès le jeune âge de 50 ans. En outre, selon le rapport du dénombrement des personnes en situation d’itinérance de 2022, les personnes âgées de 50 ans et plus représentaient 44 % de la population vivant dans la rue à Montréal, soit le groupe d’âge le plus important.

Déjà, à 65 ans, les personnes aînées en situation d’itinérance sont plus près de l’âge physique et cognitif d’une personne de 75 ans, en raison du vieillissement précoce, et ont de plus en plus de besoins particuliers. Cela rend leur situation encore plus complexe et mettrait la résilience de n’importe qui à rude épreuve. L’effort requis pour se reloger est alors décuplé et les chances de rester dans la rue ne font qu’augmenter.

Pour éviter une hausse constante de ce phénomène grandissant, il est prioritaire d’agir en amont, en tentant de prévenir le plus tôt possible, soit bien avant 65 ans. Après le lancement de notre service de prévention de l’itinérance en 2021, il est rapidement devenu évident qu'un programme spécifiquement adapté aux besoins des aînés était nécessaire. C’est ce que fait le programme Ancrâge de la Mission Old Brewery, soutenu par la Fondation Mirella et Lino Saputo, qui vise à prévenir l’itinérance chez les populations âgées de 50 ans et plus. En agissant à titre de courtier social, nous repérons les personnes aînées à risque d’itinérance et les accompagnons vers des ressources en logement adapté à leurs besoins. Nous espérons qu’au cours des 5 prochaines années, près de 750 personnes aînées auront évité l’itinérance grâce à ce programme.

Toutefois, à nous seuls, nous ne pourrons freiner ce raz-de-marée dans son entièreté. Des progrès en matière d’évictions chez les aînés ont été réalisés, mais cela reste insuffisant. Il faut une réelle reconnaissance du problème, des ressources supplémentaires, des mesures adaptées et ce, avant l’âge de 65 ans.

Pour prévenir l’itinérance chez les personnes aînées au cours des prochaines années, ça prendra un capitaine, et tout un équipage. N’attendons plus.

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