Cet article de blog a été écrit par James Hughes, notre président et chef de la direction, suite à un voyage d’observation des principales ressources en itinérance de la ville de New York.
Il existe une phrase célèbre pour décrire la ville de New York : « Si je peux y arriver ici, je peux y arriver n’importe où ». Pour les personnes en situation d’itinérance qui s’y trouvent, ce défi est de plus en plus difficile à relever.
J’ai récemment participé à un voyage d’observation, avec d’autres dirigeants canadiens, qui consistait à visiter plusieurs des principales ressources de la ville de New York qui œuvrent sur le terrain en itinérance. Pendant trois jours, notre groupe de 30 dirigeants de toutes les régions du Canada (à l’exception des provinces de l’Atlantique et du Nord) a visité des organisations dans quatre des cinq arrondissements de la ville.
Le premier jour a consisté en des réunions avec des équipes de travail de rue et d’intervention en maison d’hébergement du Bronx (BronxWorks) ainsi qu’avec un exploitant de logements collectifs mixtes (Community Access), également dans le Bronx. Le deuxième jour, nous nous sommes rendus à Brooklyn pour rencontrer l’équipe de sensibilisation du bibliobus de la bibliothèque de Brooklyn, suivi d’une course en Uber pour nous rendre à Queens afin de voir comment la police de New York forme ses recrues à interagir avec les personnes en situation d’itinérance souffrant de troubles mentaux graves. Le troisième jour, nous nous sommes rendus au New Jersey pour discuter avec Julia Orlando de la vision et des activités de la Bergen Housing and Health Authority en ce qui concerne les personnes sans abri, puis nous avons visité l’Ali Forney Center, une ressource pour les jeunes LGBTQ+ située à Manhattan.
Comme à Montréal, le contexte dans lequel ces organisations mènent leurs activités a considérablement changé depuis la pandémie de COVID-19. Une population globale de personnes en situation d’itinérance plus importante, un plus grand nombre de personnes dormant dans la rue dans des campements, un pic d’empoisonnement aux drogues et d’overdoses, une forte augmentation du nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile, et une crise du logement forment ensemble les paramètres dans lesquels les ressources de la ville de New York tentent de fournir un hébergement aux personnes qu’elles servent. Cependant, contrairement à Montréal, la Ville de New York est légalement tenue de fournir un refuge aux personnes en situation d’itinérance abri dans les trois jours suivant leur demande. Pour s’acquitter de cette obligation, la Ville, par l’intermédiaire de son Département des services aux sans-abri, charge des organismes à but non lucratif, comme ceux que nous avons rencontrés lors de notre voyage d’observation, de fournir des services et des refuges à la population croissante de personnes en situation d’itinérance.
Quelle est l’ampleur de cette population? Voici ce que dit la Coalition pour les personnes sans-abri de la Ville :
« En décembre 2022, 68 884 personnes en situation d’itinérance, dont 21 805 enfants, dormaient chaque nuit dans le principal système de refuges municipaux de la ville de New York. Un nombre presque record de 22 720 adultes célibataires ayant dormi dans des refuges toutes les nuits en décembre 2022.»
À titre de comparaison, le système d’hébergement de l’île de Montréal compte environ 1600 lits. En d’autres termes, le nombre de refuges de New York est environ 40 fois plus important que celui de Montréal, alors que la population n’est que quatre à cinq fois plus nombreuse.
Le maire de New York, Eric Adams, tente de restreindre l’obligation imposée à son administration quant au « droit au logement » en disant simplement que la Ville ne dispose pas des ressources nécessaires pour continuer à s’acquitter de ce mandat :
« Étant donné que nous ne sommes pas en mesure de fournir des soins à un nombre illimité de personnes et que nous sommes déjà surchargés, il est dans l’intérêt de tous, y compris de ceux qui cherchent à venir aux États-Unis, de dire clairement que la Ville de New York ne peut pas, à elle seule, fournir des soins à tous ceux qui traversent notre frontière », a-t-il déclaré dans un communiqué le mardi 23 mai.
Le secteur communautaire s’est, à juste titre, insurgé contre la décision de contester le droit à l’hébergement. Stephen Banks, l’ancien commissaire du Département, a fustigé le maire en affirmant que la position de ce dernier allait augmenter le nombre de personnes en situation d’itinérance : « Il est difficile de comprendre comment le fait de demander à un tribunal de suspendre le droit à l’hébergement garanti par la constitution de l’État de New York est une stratégie gagnante, car il y aura beaucoup plus de personnes qui dormiront dans la rue si la demande de la Ville est acceptée, ce qui n’est dans l’intérêt de personne3 », a-t-il déclaré.
Les organisations que nous avons rencontrées au cours de notre voyage d‘observation étaient – on le comprend aisément – circonspectes quant au conflit entre l’administration de la Ville et les défenseurs du droit à l’hébergement. Mon sentiment général est que le débat n’aura que peu d’impact sur elles. Leur croissance peut ralentir, mais la demande restera très forte.
Et nous pouvons beaucoup apprendre d’elles.
Les abris de BronxWorks, appelés des« havres de paix », sont tous des chambres individuelles; il n’y a pas de dortoirs. La qualité de l’environnement clinique s’en trouve considérablement améliorée.
Community Access gère plus de 2200 unités de logement pour les individus, les familles et les couples sans abri. Et 900 nouvelles unités sont en cours de réalisation. Son secret consiste à mettre en réserve des terrains en utilisant les excédents d’exploitation jusqu’à ce que des fonds publics soient disponibles pour le développement.
La Bergen Housing and Health Authority du New Jersey dispose d’une méthode simple pour classer ses clients – qu’elle appelle « invités » – en vue de leur offrir des possibilités de logement. Chaque fois qu’un invité est « prêt pour le logement », c’est-à-dire qu’il possède une pièce d’identité et un revenu, il est ajouté à la liste des demandeurs de logement. Dès que la personne arrive en haut de la liste, elle a le droit au prochain appartement disponible. Cette simple liste « par nom », classée en fonction de la date à laquelle la personne est prête à occuper un logement, est un moyen efficace et équitable de gérer l’accès au logement.
Ces organisations semblent bien gérées, stables et adéquatement dotées en personnel. Toutefois, elles sont, comme la Ville elle-même, tout simplement incapables d’imaginer pouvoir répondre aux besoins fondamentaux des personnes en situation d’itinérance de New York, encore moins de toutes les accompagner vers un logement durable… ou d’empêcher qu’elles ne se retrouvent à la rue en premier lieu . Leur volume est tout simplement trop important. Et la diversité de leur clientèle, la crise des opiacés et les options de logement limitées transforment cette surcharge en impossibilité.
Qu’en est-il de notre ville? Montréal a un très long chemin à parcourir pour devenir plus efficace en matière de prévention et de traitement de l’itinérance. La Ville de New York a des pratiques et des protocoles, y compris la collecte, la gestion et l’échange de données, dont nous pouvons nous inspirer pour atteindre notre objectif commun de réduire l’itinérance et d’y mettre fin, même face à une crise du logement qui nous est propre.
Cependant, avec une population non logée relativement faible, probablement entre 4000 et 5000 personnes chaque nuit, nous pouvons certainement penser, planifier et agir de manière à éviter d’avoir, un jour, à relever les défis auxquels la Ville de New York est confrontée aujourd’hui.