Catherine Vachon, Dt.P., cheffe des services alimentaires, Mission Old Brewery
Manal Al Brahim, Cynthia Barakat, Gabrielle Lehoux, Laurie Martin, stagiaires en nutrition, Mission Old Brewery
Moéra Castonguay-Lafleur, Dt.P., gestionnaire de la sécurité alimentaire, Accueil Bonneau Nivuseni Thesingarajah, stagiaire en nutrition, Accueil Bonneau
Une quantité astronomique d’aliments de toutes catégories est gaspillée avant même d’atteindre notre panier d’épicerie. Or, le principal responsable de ce désastre n’est nul autre que la réglementation actuelle. Prenons le règlement sur les fruits et légumes frais, qui édicte des normes esthétiques. Il exige, par exemple, que « les feuilles vertes autour des choux-fleurs aient une belle apparence », contraignant ainsi l’industrie et les commerçants à gaspiller des légumes parfaitement comestibles lorsque ce critère n’est pas respecté.
Réhabiliter les légumes « moches »
Pourtant, nous pouvons manger des fruits et légumes qui s’éloignent des normes esthétiques. Beaux ou laids, s’ils sont sains pour la consommation, ils offrent les mêmes nutriments. Alors, pourquoi les mettre à l’écart avant même qu’ils n’atteignent les étalages ? En tant que nutritionnistes, nous considérons qu’il faut interdire le classement des fruits et des légumes selon la présentation et le calibrage en épicerie.
De plus, l’industrie a encore le droit d’apposer une date de péremption basée sur la durée de fraîcheur des aliments, dans le but de forcer la rotation des stocks et d’augmenter les ventes, alors que ces aliments peuvent être bons beaucoup plus longtemps. C’est une pratique qui vient encore aggraver le gaspillage : des aliments doivent être retirés des étalages à la date indiquée par l’étiquetage. Le gouvernement doit absolument revoir ces règles et imposer des sanctions pour limiter le gaspillage au sein des maillons de la chaîne alimentaire, avant même que les aliments se rendent aux consommateurs.
Redistribuer les surplus
Les aliments qui sont toujours propres à la consommation ne doivent pas être jetés ni javellisés pour les rendre non consommables. Les acteurs de la chaîne alimentaire doivent se tourner vers la redistribution de ces produits. Pourquoi jeter ces aliments qui ont demandé énormément de temps et de ressources à produire, alors que d’autres solutions sont envisageables ? En plus de vendre à rabais les surplus, les commerçants pourraient les donner à des organismes communautaires qui desservent des populations vulnérables, comme la Mission Old Brewery et l’Accueil Bonneau, ou encore à des industries de transformation qui pourraient utiliser ces produits rapidement, à faible coût.
Le gaspillage alimentaire va bien au-delà de notre pouvoir d’action individuel, c’est pourquoi il est impératif d’instaurer un règlement visant le système alimentaire dans son ensemble. Assurons-nous de faire partie de la solution : demandons au gouvernement qu’il adopte une loi interdisant de jeter des aliments propres à la consommation, et ce, dès les premières étapes de la production jusqu’aux tablettes de nos épiceries.
Des exemples venus d’ailleurs
L’approche que nous proposons est réaliste : il suffit de voir l’efficacité de telles initiatives dans d’autres pays pour s’en convaincre. Prenons par exemple la loi Garot, entrée en vigueur en 2016 en France : elle interdit de jeter des aliments propres à la consommation. Des initiatives menées en Norvège, au Danemark et en Corée du Sud ont permis de réduire le gaspillage alimentaire d’environ 300 tonnes par jour grâce à de meilleurs systèmes de récupération alimentaire.
En ce mois de la nutrition 2022, il est plus que temps que de telles initiatives soient lancées au Québec. Inspirons-nous des réussites des autres pour améliorer notre propre situation et protéger l’environnement, et devenons l’exemple à suivre en Amérique du Nord.