Il y a quelques jours, la Cour d'appel du Québec a confirmé la décision d'un tribunal inférieur annulant une injonction qui protégeait de l’expulsion des personnes sans-abri qui campaient sous l'autoroute Ville-Marie. Le ministère des Transports demandait l'expulsion des campeurs depuis novembre 2022 et, depuis jeudi dernier, la voie est libre pour qu'il entreprenne les travaux de réfection de l’autoroute. Personne ne remet en cause la nécessité des travaux. Mais qu'arrivera-t-il aux campeurs ?
Tout d'abord, la bonne nouvelle. Deux des quinze campeurs sont déjà logés. Et cinq autres sont en bonne voie d’obtenir un logement stable et abordable ainsi que les services communautaires nécessaires pour conserver leur logement à long terme. Il a fallu de nombreux mois à notre équipe de la Mission Old Brewery pour créer une relation de confiance avec ces personnes, dont certaines vivent sur le site depuis des années, afin d'entamer le difficile processus d'accès à un logement approprié. Les étapes comprennent, au minimum, la préparation et la remise des déclarations de revenus (condition préalable à l'obtention d'un supplément au loyer), l'identification d'un logement convenable, la négociation d'un bail avec le propriétaire public ou à but non lucratif, l’emménagement de la personne. Cependant, comme le temps presse, que se passera-t-il lorsque la police arrivera, probablement cette semaine, pour expulser ces personnes du site ? Nous espérons achever l'ensemble de la procédure administrative et leur trouver un logement sous peu, mais cela suppose que nous soyons en mesure de les suivre alors qu’ils migreront vers un nouveau campement.
La mauvaise nouvelle, c'est que quatre des campeurs d’origine sont partis il y a quelques mois et nous ne savons pas où ils se trouvent. Et les quatre autres personnes qui sont toujours au campement ont, jusqu'à présent, refusé le soutien de nos équipes de première ligne pour identifier des options d’hébergement. À la Mission Old Brewery, nous craignons que ces personnes ne se dispersent à leur tour et que nous n'ayons pas l'occasion de reprendre contact avec eux.
Des campements continuent d'apparaître dans notre ville : on en retrouve un sur l'avenue du Parc, près de la montagne. Un autre campement, à Ahuntsic, a récemment été fermé par la police. La seule réponse de la Ville consiste à démanteler le camp lorsqu'elle reçoit suffisamment de plaintes de la part des résidents.
Dans la région de Waterloo, en Ontario, et en Colombie-Britannique, les tribunaux ont créé un « droit de camper » dans les lieux publics lorsque le système des refuges ne peut pas répondre aux besoins individuels des campeurs. L'injonction originale émise par le tribunal montréalais dans l'affaire des campeurs de Ville-Marie suggère également qu'il existe désormais au Québec un droit de camper dans les espaces publics, limité par le droit de l'État d'effectuer les réparations nécessaires à l'environnement physique où se trouve le campement. Où cette nouvelle jurisprudence nous mène-t-elle ? À la légalisation des campements dans les espaces publics à Montréal ?
La meilleure voie serait l'adoption formelle d'un droit progressif au logement au Québec. Ce droit pourrait s'exprimer de plusieurs façons, y compris, pour les personnes vivant dans un campement, par la création d'une « équipe de la rue au logement » à Montréal qui soutiendrait les travailleurs de rue de première ligne dans leurs efforts pour accompagner les campeurs vers un logement. On ne parle pas d’un abri en refuge, mais d'un véritable chez-soi, comme nous le souhaitons et le méritons tous et toutes. Ce n'est pas une mesure simple, surtout en période de crise du logement, mais c'est possible si les bonnes personnes avec la bonne expertise travaillent dans la même direction, avec un objectif commun.
Notre modeste succès au campement de Ville-Marie est la preuve que nous pouvons faire beaucoup mieux qu'une simple politique de démantèlement. Les personnes sans logement, qui vivent dehors avec tous les dangers que cela comporte, méritent certainement mieux.